M O N T R E A L - Q U E B E C - C A N A D A

13.4.02

Martin Chamberland - Photographe de presse et cycliste (suite)


Jeune femme qui tisse un tapis au Cachemire
Winners of the 3rd annual Friends of the Earth International photo competition
4e place


...Suite de l'entrevue avec Martin Chamberland

U. On parle de "l'oeil du photographe" comme la signature même du capteur d'images. Dans ton cas, il va sans dire, il est particulier et remarqué par les nombreuses personnes qui t'engagent. Tu as une approche personnelle pour traiter les sujets. Comment vois-tu les choses qui t'entourent?

MC. L'oeil du photographe, le regard si on veut, est différent à chaque photographe. C'est normal, cela va sans dire et c'est ainsi pour tout, que ce soit l'écriture, la peinture, etc. Mon regard est toujours à la recherche des contrastes, de la lumière, des couleurs et des angles. Je cherche toujours à faire une photo percutante, qui attire le regard du lecteur. Depuis que je suis photographe je suis beaucoup plus observateur de la lumière qui m'entoure, je la remarque presque à chaque étape de la journée, au fil des mois et des saisons. Mais en bout de ligne, je veux que l'impact visuel puisse incorporer le plus de ces éléments afin de rehausser le contenu de la photo.

U. Comment conjugues-tu la vision personnelle d'un sujet et la commande neutre journalistique de l'image?

MC. C'est quelque chose qui se travaille au fil du temps et je crois pouvoir affirmer avec justesse que je réussis bien en ce domaine. Lorsque le sujet que je traite est contraire à mes convictions personnelles, je tente de me visualiser être cette autre personne, ce qu'elle pense, ce qu'elle vit à ce moment précis, pourquoi elle pense et agit ainsi. Je tente de me mettre dans ses souliers et cela m'aide à rester neutre. C'est mon truc à moi, je n'ai pas sondé mes collègues sur la chose.

U. La photo se doit-elle d'être neutre? Peut-elle l'être?

MC. Nous devons tous être conscients, en tant que photographes de presse, que nous avons le devoir de rester le plus neutre possible. Et en ce sens, je crois que nous réussissons toujours à atteindre ce but car notre premier devoir est de chercher à faire une photo qui colle avec l'histoire que nous couvrons. Par la suite, c'est certain qu'il y aura toujours quelqu'un pour débattre du fait que notre travail n'est pas tout à fait neutre. Je peux citer plein d'exemples où je me suis retrouvé à couvrir des sujets avec lesquels mon opinion différait grandement, mais l'éthique et la crédibilité que nous possédons à La Presse sont des choses avec lesquelles je ne badine pas.

U. D'ordinaire, je crois, l'article et la photo de presse se produisent en même temps et indépendamment. Mais arrive-t-il qu'une fois la photo présentée et choisie, cette dernière influence la couleur de l'article qui l'accompagne?

MC. C'est très rare. La raison en est fort simple. À La Presse, lorsque nous travaillons, journaliste et photographe vont habituellement chacun de leur bord. Les deux font leur travail presque sans se consulter. C'est pas mal dommage en y pensant bien, mais les choses sont ainsi. Il est donc difficile que le travail de l'un ait une incidence sur le travail de l'autre. Mais j'ai remarqué qu'à chaque fois que j'interrogeais le journaliste afin d'en soutirer le plus d'infos, la photo qui en ressortait se rapportait mieux à l'histoire.

U. Y a-t-il un devoir de réserve en photographie de presse?

MC. Oui il y a un devoir de réserve. Et ce devoir de réserve peut venir du photographe, du journaliste, d'un pupitreur ou d'un patron. Lorsque le sujet peut causer préjudice à la personne interviewée ou à l'histoire qui s'y rattache, il faut faire preuve de prudence. On fait souvent des photos de gens qui ont le dos tourné au photographe afin de ne pas les reconnaître, ou on utilise la technique de l'ombre chinoise, c'est-à-dire de ne voir qu'une silhouette. Il y a aussi le flou qui peut être utilisé. Ce sont d'ailleurs toutes des techniques que j'ai utilisées récemment pour couvrir une histoire d'un enfant qui a subi du harcèlement à l'école comme le jeune David Fortin que l'on ne retrouve plus depuis plusieurs semaines. J'ai sorti tous ces trucs de mon chapeau et j'ai été relativement satisfait du résultat.
Mais si on revient au sujet principal de la question, le devoir de réserve, c'est quelque chose que je fais probablement une fois par semaine. Je ne soumets que les photos que j'aime vraiment, soit pour leur contenu visuel ou pour leur proximité avec l'histoire racontée. C'est vraiment rare que mes patrons me demandent de soumettre de nouvelles photos car celles que j'avais initialement choisies ne leur plaisaient pas. Les patrons ne voient jamais toutes les photos que l'on prend car, en premier lieu, cela prend beaucoup trop de temps. Puis ensuite ils nous font pas mal confiance. Et de plus, le processus de sélection des photos se fait par le photographe dans un bureau à l'écart du reste de la salle de rédaction, ou carrément en dehors de La Presse comme je fais souvent.

U. Y a-t-il des secteurs délimités dans le métier de photographe de presse, ou êtes-vous libre de toucher à tous les sujets?

MC. Bien heureusement nous avons la chance de toucher à une multitude de sujets. C'est ce qui m'intéresse dans la photo de presse car cela nous amène à explorer tous les aspects de la vie humaine, l'humain sous toutes ses coutures.

U. Quels sont tes sujets de prédilection?

MC. La photo de reportage à l'étranger. Les cultures du monde m'intéressent énormément. J'aime aussi la photo de sport. Puis j'aime les reportages de longue haleine, qui nécessitent parfois même une recherche des ressources se rapportant au sujet.

U. Tu es un photographe mobile. As-tu aussi un studio?

MC. Non je n'ai pas de studio car cette facette de la photographie m'interpelle moins. Mais j'ai à portée de main quelques flashs et des trépieds qui me permettent d'éclairer la plupart de mes sujets de façon très convenable pour la photo de presse.


U. Le désir de faire de la photo de presse te vient d'où?

MC. Un jour d'été de 1994 je me promenais sur le plateau et j'ai vu les fêtards de la coupe du monde de soccer, ceux du Brésil plus précisément, danser et chanter, jouer du tam-tam tout en bloquant les rues. J'ai commencé à faire des photos car cela m'interpellait; une autre culture, la bonne musique, la joie intense. J'ai tellement aimé l'expérience que je voulais absolument revivre le rush d'un tel événement. Je me demandais par contre s'il existait un domaine qui m'amènerait à faire de telles photos tout en étant apte à bien gagner ma vie, je ne saisissais pas trop à ce moment tous les aspects de la photo.
J'ai éventuellement fait le lien avec la photo de presse et je suis allé faire de la photo bénévolement pour tous les journaux étudiants de Concordia, il y en avait 4 à ce moment-là. Je me suis ensuite inscrit en photo à Dawson. Et à ma deuxième année, j'ai eu la chance ultime de recevoir un coup de fil de La Presse qui avait grandement besoin d'un coup de main. Ils étaient dans la chnoutte faut dire pour m'appeler! Moi qui avais 23 ans et pas vraiment toutes mes dents, photographiquement parlé bien entendu. Mais faut croire que je cadrais dans le portrait (oui oui, c'est un mauvais jeu de mots) car ils m'ont gardé! Et ça fait exactement 12 ans ce mois-ci.

U. Tu voyages beaucoup, l'Inde, la Bulgarie... Où encore?

MC. J'ai été plusieurs fois à Cuba, j'ai également été quelques fois au Mexique, au Vénézuela, plusieurs fois en Europe (11 pays d'Europe en tout), puis j'ai même eu la chance d'aller au-delà du cercle arctique, tout près du pôle nord. Puis, comme tu dis, l'Inde deux fois, la Bulgarie et bien entendu, l'Italie, pour le vélo!

U. Ton voyage en Inde t'a certainement marqué. Cela a-t-il changé ta prise de vue, autant technique qu'idéologique?

MC. Bien simplement non, mon oeil photographique n'a pas changé en Inde. Mais par contre ma vision du monde a changé, ma vision de la vie et de sa fragilité. Ayant côtoyé la vraie misère humaine, je suis plus sensible qu'avant au sort des plus démunis. Je pose de petits gestes quotidiens comme gaspiller moins d'eau, recycler, économiser de l'électricité et jeter le moins de nourriture possible. Imagine te promener dans un bidonville puant en Inde, il fait 45 degrés celsius et que d'aucune façon tu ne peux te procurer un verre d'eau potable. Et nous, on garroche de l'eau potable sur nos pelouses, nos gros chars, nos entrées d'asphalte, puis on fait même nos besoins dans de l'eau qui est buvable. Quelle injustice!

U. Tu as fait des expositions de ce voyage. As-tu fait d'autres expositions?

MC. Oui, j'en ai une qui a eu lieu récemment, une mini expo d'un jour sur mes photos de spéléologie dans les grottes du Mexique, une exposition organisée par la société québécoise de spéléologie. Puis j'ai eu des photos dans plusieurs expositions communes de photos de presse, sur le verglas, sur les meilleures photos de presse lors d'un concours annuel, lors du festival de Jazz et j'en oublie peut-être une.

U. Fais-tu des études personnelles, des recherches photographiques, des oeuvres à toi?

MC. Là, je file un peu mal mais la réponse c'est non. Auparavant, il y a de cela bien des années, j'en faisais en dehors de mes heures de travail lorsque j'avais un peu plus de temps libre. Mais aujourd'hui, je ne fais pas vraiment de photo à part mon travail. Bien évidemment je prends plusieurs photos de ma fille qui a 13 mois, mais en ce qui concerne des projets personnels, le temps est une denrée très rare lorsqu'on a un jeune enfant. Puis pour moi, c'est aussi une question de ce que j'appelle "rester frais". J'ai besoin de prendre une distance afin de mieux revenir la semaine suivante et continuer à pratiquer mon métier avec ferveur. Par contre, à ma défense, lorsque je voyage je redeviens le jeune photographe ébahi devant l'éternel, devant de nouveaux paysages, devant d'autres gens et je m'adonne à ce plaisir qui m'a amené initialement à la photo. C'est toujours réconfortant d'ailleurs.

...lire le début de l'entrevue
Martin Chamberland - Photographe de presse et cycliste (1)

Voir et lire le blogue de Martin Chamberland
http://martinchamberland.wordpress.com/